Le 17h17 Saison 2 Episode 12

ODETTE. (Elle résiste avec beaucoup d'effort.) Je suis une vache.

Toute la journée mes gros pieds pataugent dans l'herbe. L'herbe jeune, transparente, fraîche et beurrée. L'herbe noire, si grasse, si moelleuse, si poivrée. Je broute. Toute la journée. Je broute. Je tire ma grosse langue brune. Elle glisse comme un escargot et trace sa ligne argentée sur les feuilles, sur les tiges. Je suis calme, patiente, entêtée. Je poursuis l'herbe. Je ne m'arrête jamais. Mes yeux sont fermés. Mes narines dilatées. Je vois avec ma langue et mon nez. Mon nez souffle comme un accordéon. L'herbe caresse mes cils. Je coule je coule je coule dans l'herbe… Arrêt ! Figée ! Ma langue est tombée sur l'herbe. Je sens son odeur âcre. Je la reconnais. ça me plaît. Je sors ma langue entièrement et l'enroule comme un boa autour de l'herbe. Je serre fort. L'herbe se relâche dans le nœud de ma langue. Je tire fort pour l'arracher du sol. Les petites racines qui pendent maintenant dans l'air perdent la terre fine qui les protégeait. Maintenant l'herbe est à ma merci. Ma langue se replie et dépose l'herbe dans ma bouche rouge. Je referme ma bouche et actionne mes meules blanches qui broient les feuilles étroites de l'herbe. Mes meules frottent les unes contre les autres. Elles frottent de tous leurs poids. Elles malaxent. Neuf neuf neuf. Un. Neuf neuf neuf. Un. Alors… je sens le jus vert, poivré, noisetté, presque alcoolisé couler le long de ma gorge, de mon œsophage, de mes versants enneigés pour rejoindre les autres affluents et se jeter dans la tempête, là, dans mon ventre, mon cher ventre…